"Soumission", de Michel Houellebecq

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"Soumission", auteur: Michel Houellebecq Politique- fiction, janvier 2015

Que pourrais-je dire au sujet de ce livre, qui n'a pas déjà été dit?
Eh bien, voilà, je tente l'exercice.
Super gonflé, le bouquin, mais c'est ça qui me plaît en lui.
Je n'avais jamais lu de livre de M. Houellebecq avant.
De plus, je n'avais guère réagi à la polémique que l'oeuvre a soulevé au moment des attentats contre "Charlie Hebdo", emportée par la fièvre médiatique d'alors. Il aurait fallu être sur la lune pour échapper à cette trombe de mots et de paroles et encore, je ne suis pas sûre. J'ai téléchargé un extrait, que j'ai vite laissé de côté. J'avais fait la même chose pour le livre d'Éric Zemmour, qui m'a paru assez ardu. Bref, j'ai laissé tomber tout ça, ce ne devait pas être le moment.

Cet été, allez, j'ouvre "Soumission".
Je tombe sur un parfait inconnu, dans un milieu tout aussi alien pour moi: je veux parler de l'écrivain répondant au doux nom de Joris-Karl Huysmans, et du milieu universitaire littéraire de la Sorbonne ensuite. Moi, sortie des langues, de la géopolitique, des travaux manuels, du jardinage et j'en passe, disons que ce domaine, purement universitaire et littéraire, je me suis dit: flûte, je risque de me faire....suer.
Mais j'ai relevé le défi! Bonjour à Huysmans et à l'université de Paris IV, puis celle de Paris III. Je fais quelques recherches sur Internet, j'ai même téléchargé une oeuvre dudit Joris-Karl, "À rebours". Au moins, j'aurais gagné quelques galons supplémentaires de culture générale.

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Dès les premières pages, je fus happée par un sentiment...disons tissé de curiosité, qui fait que j'ai eu envie d'aller plus loin, et d'une certaine révérence. En effet, l'auteur décrit notre décennie d'une manière réaliste et un peu prophétique, dans une langue choisie, qui a su rester proche de la langue écrite courante, comme celle employée par le journalisme de masse ou les best-sellers. Mais il y a un "truc" dans le style. L'image qui me vient à l'esprit est "une main de fer dans un gant de velours", qui se traduit par: une peinture terrible de notre époque dans un style fluide et doux, humoristique. Mais ce que dévoile ce style, ça fiche le bourdon, le frisson, bref, la grande catastrophe...

http://www.lefigaro.fr/livres/2015/01/03/03005-20150103ARTFIG00092-houellebecq-refute-toute-provocation-ou-satire-dans-soumission.php

Au hasard des tribulations de son personnage, jeune thésard en lettres modernes qui, après la soutenance de sa thèse, devient professeur de lettres modernes de l'université de Paris III, l'auteur fait feu de tout bois, en passant au tamis de son regard critique les perspectives et le système professionnels dans lequel entre son héros, sa vie sexuelle, son absence d'attrait pour tout ce qui fait la vie des gens qui font métro-boulot-dodo. Par exemple, vas-y que je te brosse un portrait pas du tout complaisant des femmes vieillissantes qui ont raté leur vie sentimentale, mais alors, pas du tout complaisant, le portrait, grave, grave, grave, mon Dieu! Tout, sauf devenir comme elles, au secours!

Puis l'auteur, insensiblement, passe à la toile de fond de son histoire, notre France actuelle, en 2022, et donne une description de l'état dudit pays, toujours dans ce style "main de fer dans un gant de velours".
Et là, c'est les boules maximales, effet recherché, atteint! Target, cible acquise, c'est bon. Le missile a atteint son objectif.
Entre documentaire et fiction, la France à la veille du deuxième tour des présidentielles de 2022: deux partis en présence: le FN, avec Marine Le Pen, et la Fraternité Musulmane, avec Mohamed ben Abbas. Les partis traditionnels, laminés par leurs divisions intestines et les affaires qui émaillent leur vie publique et écornent leur développement durable, eux, ont fait quelques 14-15% chacun (UMP et PS 14-15). Aucun des deux partis ne peut accorder ses suffrages au FN et les votes se reportent en masse sur la Fraternité Musulmane, donc ben Abbas est élu président.
Vision géniale: le président veut rétablir l'Empire romain d'avant le schisme entre Orient et Occident. D'où faire rentrer l'Afrique du Nord jusqu'à l'Égypte dans l'Union Européenne qui, ainsi, se transforme. Ça, c'était le volet géopolitique.
Sur le plan intérieur, le président nouvellement élu prend les mesures drastiques que lui imposent sa religion: exit le travail féminin à quelques exceptions près (certaines femmes auront le droit d'avoir une profession littéraire ou artistique), retour aux écoles religieuses  ( en effet, l'auteur a raison de dire que, en Islam, l'une des préoccupations majeures est l'éducation). Les écoles musulmanes deviennent les écoles privées subventionnées par l'État.
Donc le chômage est résorbé par le retour des femmes au foyer, l'ordre moral revient dans la société sous l'influence de valeurs patriarcales remises au goût du jour. Par un retour aux valeurs d'une société traditionnelle fondée sur la soumission de la femme et le respect des anciens, la vieille Europe reprend la voie du développement économique et du rayonnement culturel (ou cultuel?).

http://fanzine.hautetfort.com/tag/michel+houellebecq

Yep. Dur, dur. Mais passionnant! Et en filigrane, finalement les identitaires ne sont pas si éloignés que ça des religieux: eux aussi veulent le retour à certaines valeurs morales laminées par le développement des cinquante dernières années.
Ouf. En téléchargeant l'extrait, comment vous dire que je ne m'attendais pas à cette attaque-là! C'est une sorte de révolution de la pensée que d'écrire cela, bien que nombre de concitoyens le pensent: la déliquescence des valeurs et des moeurs observées ces dernières décennies sont la cause de la perte d'ascendant des Européens, d'un ramollissement des décisions politiques et économiques etc, etc.

Ce dont je suis sûre, c'est que, démographiquement et économiquement parlant, renvoyer les femmes chez elles équivaudrait à une perte sèche pour nombre de foyers, et donc à un appauvrissement massif des classes moyennes, déjà affaiblies par des adaptations plus ou moins réussies à une mondialisation forcenée. Je ne suis pas sûre que cet appauvrissement soit compensé par le recul du chômage occasionné par les emplois laissés vacants. Quant à l'impact du retour des valeurs patriarcales, ce serait un bon motif de division durable, et non plus de développement. Parce que, quoiqu'il en soit, la France a toujours été divisée sur ce point: on peut remonter jusqu'à Louis XIV ou au Moyen-Âge, il y a toujours eu des querelles des Anciens et des Modernes, les sociétés ont toujours abordé les changements sociaux et économiques dans la douleur, et, pour aller jeter un coup d'oeil à l'Antiquité, déjà, Cicéron se plaignait que sous César, les jeunes n'avaient plus le respect des Anciens, que la vie changeait. Eh bien, moi, je peux en faire autant! Je peux aussi dire que la vie en 2015 est diablement différente de celle de 1975! Ce n'est pas pour autant que je regrette cette dernière.

Bref, fallait être culotté pour écrire tout cela dans un roman grand public! Mais après tout, la liberté d'expression, c'est bien cela, non? Écrire des scénarios dans une langue choisie, en faisant par exemple, comme l'auteur, le parallèle entre la vie de son héros François avec la vie de Joris-Karl Huysmans dans le cadre moderne de 2015, en brossant le portrait de ses contemporains à l'acide corrosif de l'humour et de l'observation...

Tentez l'expérience... lisez-le...

Pour en savoir plus:
http://www.telerama.fr/livre/ecoutez-un-extrait-de-soumission-de-michel-houellebecq-lu-par-fabienne-bussaglia,121179.php
https://liseurblog.wordpress.com/tag/michel-houellebecq/
http://www.michelhouellebecq.com/
http://www.houellebecq.info/