: Fortitude: L'homme poursuivi par une portière

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mardi 20 janvier 2015

L'homme poursuivi par une portière

             L’homme  poursuivi par une portière


Dès que je démarre, je la vois. Dès que je m’arrête, elle s’arrête. Parfois, je la vois nettement, parfois elle disparaît, ce doit être la nouvelle technique qu’on leur enseigne, aux barbouzes.
J’essaie de m’en débarrasser en prenant des virages sur les chapeaux de roue, tout ce que j’ai gagné, c’est de me faire arrêter par les keufs, j’ai pris quatre points dans la vue et 180 € d’amende.
J’ai essayé de la semer sur l’autoroute et vlan, j’ai eu la brigade autoroutière aux fesses. Ça s’est soldé par un retrait de permis pendant six mois et une amende. C’est drôle , mais pendant toute la durée de mon retrait de permis, je n’ai plus vu ma poursuivante.
Ce devait être une ruse.
Tout à coup, j’eus une illumination. Je courus chez mon libraire acheter une revue d’auto. Mon instinct me criait que j’étais sur la bonne voie. Je scrutais avidement les photos. Il n’y avait pas de doute : tous les automobilistes sont poursuivis par une portière ! Cette vérité me laissa pantois : le nombre de gens harcelés et espionnés croît de jour en jour.
Conscient d’avoir découvert un complot d’Etat et d’en être l’unique témoin, je me vengeais.  Je roulai, portière ouverte, au niveau de chaque représentant de l’autorité, mécanique ou vivant. Je bousillai ainsi un certain nombre de panneaux indicateurs et de gendarmes planqués pour repérer les excès de vitesse.
Je bousillai la serrure de la portière afin qu’elle ne ferme plus et qu’elle ne soit plus tentée de me regarder fixement de son œil métallisé.
Même James Bond est poursuivi par une portière.
Même les stars. Regardez Lady Di : dans leur confrontation finale, c’est la portière qui a eu le dessus. Elle avait bien compris, la belle Anglaise, que c’étaient elles (les portières) ou nous. Le problème, c’est qu’elle a abattu ses cartes trop tôt. Ne croyez pas ce qu’on a écrit dans les journaux à ce sujet : ce n’est que de la poudre aux yeux pour cacher la vaste conspiration qui se trame contre l’humanité.
L’art de passer inaperçu des portières relève de la magie. Allez faire vos course, voir votre maîtresse, boire un pot ou jouer au tiercé, vous ne les verrez pas. Et pourtant elles sont bien là, partout, mais invisibles.
C’est la banalité qui rend invisible. Je vis entouré de banalité, je marche entouré de banalité.
Hubert Reeves parle des milliards d’étoiles qui composent notre galaxie, des milliards de galaxies qui peuplent l’univers. L’homme n’est plus au centre de l’univers, l’homme n’est qu’une poussière parmi d’autres. Mais pourquoi Reeves ne parle-t-il pas des millions de portières qui nous environnent, nous enferment et nous pistent ? N'est-ce pas une réalité vachement plus évidente que la vitesse de la lumière et les trous noirs ?
Tiens, en parlant de trou noir…l’autre jour, j’ai acheté une arme pour en finir une bonne fois pour toute avec cet espion qui venait de la chaîne.
Je lui ai tiré dessus, eh bien, maintenant, je suis poursuivi par une portière avec un trou noir ! Ça, les astronomes, y sont pas caps !
Mais je n’ai toujours pas résolu mon problème.
J’ai changé de voiture : elle est toujours là.
J’ai pris le bus : vaut mieux pas regarder : c’est une énorme portière à soufflet qui m’observait. Le fait que le bus roule au diester ne change strictement rien.
J’ai pris mon vélo : là, les portières se  mettaient à quatre pour m’avoir : empiétant sur les pistes cyclables, elles menaçaient de s'ouvrir à chacun de mes passages.
Je ne suis pas d’un tempérament paranoïaque, vous savez. Mais je vais être acculé d’ici peu, je le sens. L’étau se resserre.
J’ai dégondé la portière. Mais je suis obligé de déménager dans un pays chaud, pour rouler dans ces conditions. Vous croyez que les impôts accepteront ce motif pour m’accorder le statut d’expatrié ?
L’idéal, c’est de conduire un tank. Là, pas de portière qui vous épie.
J’ai hésité entre la Tchétchénie et la Palestine. A cause du climat, j’ai opté pour la Palestine, ci-devant territoires occupés.
Je m’installai à Ramallah.
Ce fut la libération. Plus de portière pour m’espionner. Mais je dus me protéger des obus, du Hamas, des colons, des fêtes musulmanes, des fêtes juives, du Mossad, de la CIA, des RG…



Dans un moment de vague à l’âme, je me suis abonné à Auto Plus que je reçois quand les Israéliens veulent bien laisser passer le courrier. Je compatis aux malheurs de mes compatriotes, toujours poursuivis par l’Ennemi Invisible et Banal : les portières.

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