: Fortitude: Du gaz russe pour l'Europe

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mardi 25 octobre 2016

Du gaz russe pour l'Europe

L’approvisionnement de l’Europe en gaz russe, vrai ou faux problème ?


Ou : peut-on virer la Russie de l’Europe (construire l’UE sans tenir compte de sa puissante voisine, manier les sanctions économiques comme un fouet, systématiquement discréditer le pays, son régime, ses entreprises) sans conséquences ? Bref, se comporter comme des médias occidentaux et des politiciens de base européens, à qui les électeurs seraient bien inspirés de dire, comme en Argentine, que se vayan todos (qu’ils s’en aillent tous… j’envoie du rêve, là)


Essayons de faire de l’info, et pas de l’intox.

Il n’y a pas très longtemps, j’ai eu accès à une conférence sur le gaz russe et je vous livre ce que j’en ai compris. Mon nombre de « vu » limite naturellement les critiques qu’on pourrait me porter, à savoir le genre, je serais de parti pris, etc. En plus, je ne suis pas spécialiste du domaine, ce sont donc des infos que j’ai prises au vol, je ne suis ni suppôt d’ENGIE, de Gazprom… Ma carrure est trop modeste pour être piégée dans ce genre de rhétorique imbécile.

Bon. L’EU et le gaz russe.

D’abord, on ne se trouve plus dans une situation de mix énergétique classique, genre x% pétrole, x% gaz… parce que la transition énergétique décidée par l’UE, à savoir diminuer de 50% les émissions carbone à l’horizon 2030, pose un cadre tout à fait inédit pour ce genre d’exercice. Le gaz est au centre de la transition énergétique, personne n’ira me contester ça.
Les exportations de pétrole constituent 40% du budget de la Russie, les exportations de gaz 10%.
Si on braque l’objectif sur la Russie, qui va t-on trouver au bout de la lunette ? Surprise, les Etats-Unis ! Et non, on n’est plus au temps de la guerre froide, mais c’est vrai que le casting la rappelle :
-Les États-unis
-La Russie
-L'Europe
Ça vaut le coup de commencer un article sur la Russie en parlant des Etats-Unis, y a un côté provocateur qui me parle bien, là.

Grâce à leur révolution énergétique non conventionnelle, les States sont devenus auto-suffisants en gaz et même exportateurs !  Carter et Reagan en auraient rêvé ! Quel président américain n’aurait pas souhaité l’autosuffisance énergétique de son pays à l’époque du premier choc pétrolier (1973-1974), ou du second (1979-1980) ? Ben, ils ont fini par le faire ! Au point de redistribuer les cartes d’approvisionnement en pétrole d’une manière douloureuse pour les pays du Moyen-Orient et certains pays d’Amérique latine (suivez mon regard : le Venezuela)
Et à ce titre, concourent à brouiller l’image énergétique de notre continent, jouent les trublions, s’imposent comme un fournisseur énergétique alternatif et constituent une réserve intéressante.

Donc, entre transition énergétique, nouveaux approvisionnements en LNG américain (première livraison : février 2016), vous voyez que ce n’est pas du réchauffé ce que je vous raconte ! Mais les acteurs, eux, sont classiques. C’est là où ça devient intéressant. Surtout quand des objectifs territoriaux et sociétaux viennent plomber le jeu (Russie et Crimée, Donetz, etc)

Alors tout de suite on tombe des nues on se dit, mais là, on est mal barré, tout notre gaz vient de Russie ! On décide de ne pas leur livrer leurs deux Mistral, ils  envahissent et annexent la Crimée, y a plein d’histoires autour de gazoducs : passera ? passera pas ? Des sanctions économiques en veux-tu en voilà.
Bref, la situation énergétique avec la Russie, ce n'est quand même pas simple !
Vue par la lorgnette médiatique, la situation paraît inextricable et pas très en faveur de la paix mondiale. De plus, ce matraquage fait qu’on n’échappe pas à une analyse très manichéenne : de ce côté, y a les gentils, de l’autre y a les méchants.
Je pense que notre niveau intellectuel à tous exige quand même un peu plus de profondeur dans la réflexion, donc je vais essayer de relever le niveau de l’info qui nous est infligé sur ce sujet. 

Les livraisons de gaz de la Russie, ce n’est pas nouveau.
Il s’agit de commerce pur et simple, qui suit la règle suivante :
-Du côté du vendeur : j’ai un truc que tu n’as pas et dont tu as besoin, je te le vends.
-Du côté de l’acheteur :J’ai besoin d’un truc qui me manque, tu l’as, ça tombe bien, je te l’achète.
Ce n’est que du commerce. Dans une relation commerciale équilibrée, chacun y trouve son compte. C’est ce qu’on appelle une relation « win-win ».

L’Europe est un débouché naturel pour le gaz russe : la preuve en images : regardez cette jolie carte en couleurs. Ces entités font partie du même continent, il est logique qu’ils aient des rapports entre eux, évidence géographique qui semble échapper à beaucoup.
Un petit coup d'oeil:




Pourquoi aller chercher ailleurs ce qu’il y a en Russie, surtout que le réseau d’acheminement est quand même conçu pour :
mediapart



Mais voilà, le « crime » de la Russie, c’est quoi ?
L’entreprise qui extrait, traite et achemine le gaz en Europe, c’est une entreprise d’État, Gazprom de son nom.  Donc c’est en quelque sorte l’État russe qui a ainsi une mainmise sur la fourniture d’une ressource indispensable. Et là tout le monde hurle en chœur : non, non, pas ça.
Parce que voilà, il n’y a pas un Total comme pour le pétrole qui fait tampon entre nos besoins en pétrole et les extractions dans le monde entier.  Il n’y a pas d’Areva qui a le même rôle dans le nucléaire que Total dans le pétrole. Non, là, c’est une entreprise étrangère, même pas américaine ou allemande, qui joue ce rôle : c’est une entreprise d’État russe ! Alors là, ça ne le fait pas.



Ce qu’on ignore, c’est qu’il y a d’autres compagnies gazières en Russie qui vont pouvoir aussi intervenir sur le marché européen : Rosneft et Novatec. Apportant ainsi une touche de concurrence, concept cher au cœur de la Commission européenne, qui, l’air de rien, régente de plus en plus nos vies ! Nos vies de citoyens, de salariés et de consommateurs. Elle a décidé qu’il fallait diversifier les appros en gaz et elle fait les gros yeux à Gazprom, que ce cinéma commence à fatiguer quelque peu.

OK, je ne tape pas sur l’Europe. Promis. Relation commerciale donc. Qui dit commerce, dit prix.  Si les fournisseurs et les acheteurs sont évidents, la mécanique des prix l’est moins.

Les cours des matières premières sont fixés de deux façons, pas compliqué :
-s’il s’agit d’achats ponctuels (ou « spot », ou contrats de gré à gré, vous avez dû entendre ce terme-là), le prix est fixé au jour le jour en fonction des cours quotidiens ;
-s’il s’agit d’achats à long terme (genre : un État fait des réserves en vue de l’hiver qui s’approche, ou constitue des réserves stratégiques, genre : je vais avoir une grève chez Total au mois de juin par exemple, donc j’achète de la matière première avant que ce ne soit le foutoir avec toutes les raffineries fermées et les blocus), les achats se font suivant des contrats à long terme, avec des prix fixés différemment, parce qu’on ne sait pas exactement combien coûtera le m3 de gaz dans 5 ans, là ce sont des calculs un peu compliqués, bref)
donc vous  l’avez bien compris, le prix du gaz « spot » ne sera pas le même que le prix du gaz « à long terme ».
Après ces différences ne sont pas si difficiles que ça à comprendre : c’est comme si j’avais un mur à monter, je vais chez un vendeur de matériaux, j’achète mes briques (ou mes parpaings) au prix du jour. Par contre, si je décide de construire une extension de ma maison, je suis obligée d’attendre le permis de construire, de faire appel à un entrepreneur qui lui-même achètera ses matières premières, et parmi elles, les briques (ou parpaings) ne seront pas au même prix que dans le cas du mur, parce qu’il y a des délais, des problèmes fournisseurs ou d’autres circonstances…

C’est ce que fait Gazprom avec les fournitures de gaz. Des contrats à long terme avec les pays européens pour leurs achats, et parfois, des contrats spot. Ce qui est rarement mis en évidence dans la presse, c’est que si les prix spot sont inférieurs aux prix long terme, les acheteurs vont voir Gazprom et renégocient les prix à la baisse et ça marche souvent. Ce qui fait que, vous l’aurez compris,  les prix à long terme tendent à rejoindre les prix spot.

Alors, pourquoi tout ce foin autour du gaz russe ?

Ba, si je vous dis que la Russie c’est la mal-aimée de l’Europe, hein, je ne vous aurais rien appris. Et bim dans ma tronche, qui voulais éclairer votre lanterne.

Donc, Gazprom, c’est une entreprise d’État russe, l’équivalent de notre Total ou Areva (du moins, ce qu’il en reste, et v’lan, un coup de pied dans les tibias de Macron, au passage, c’est grâce à lui si la valeureuse entreprise nationale nucléaire est dans cet état aujourd’hui, dépecée, coulée, alors qu’avant son passage au ministère de l’Économie, c’était moins pire… qui a dit que j’étais pas pour Macron dans la salle ?) Et ça, ça agace fortement les politiques nationaux qui enfourchent tous joyeusement le cheval de la mondialisation et de son corollaire, la libéralisation à outrance, donc finis, les services publics, finies, les entreprises nationalisées, même dans les secteurs stratégiques, et ça énerve prodigieusement les politiques européens qui eux, cavalent joyeusement sur leur monture appelée « concurrence », obnubilés qu’ils sont par les exemples catastrophiques de certaines entreprises monopolistiques de l’entre deux-guerres, qui auraient conduit au deuxième conflit mondial. Donc haro sur Gazprom. Vilain russe et vilain monopole étranger, dont on ne peut se passer d’ailleurs !

Et puis, Gazprom et l’État russe… c’est un phénomène unique en son genre.
Je vous dresse le tableau. Pour mieux comprendre, je vous brosse une situation identique 1) en France 2) en Russie.
Imaginez qu’en France, vous êtes entrepreneur. Vous avez des salariés, des produits à vendre, et vous êtes dans la mouise : c’est la crise, vos revenus chutent, vous devez licencier, mais payer quand même vos charges. Donc petit à petit, vous êtes pris à la gorge, vous vous enfoncez, vous avez de plus en plus de mal à payer vos cotisations et vos impôts, vous vous prenez des pénalités, jusqu’au couplet final : la liquidation. Le problème : vous êtes une entreprise stratégique. Et voilà, vous coulez. Naufrage. Disparition corps et bien. Y a même pas de SNSM (société nationale de secours en mer)
pour tenter de vous récupérer. Vous faites comme le Titanic, vous lâchez des fusées de secours bien avant de couler, mais personne ne se pointe.

En Russie, c’est totalement différent. Dans le cas de Gazprom du moins.  Plutôt que de laisser son champion gazier couler du fait de la réduction drastique des cours du pétrole et du gaz, l’État a diminué « la base imposable » de l’entreprise au prorata de la baisse des cours constatés. Ce qui veut dire que l’entreprise, déjà dans une situation délicate, a eu moins d’impôts à payer.  Ce qui lui a permis de mieux faire face à la situation créée par la baisse des cours, de s’adapter.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais c’est un mode d’agir dont on rêverait en France, et je défie bien n’importe quel chef d’entreprise français de me dire le contraire ! Vous vous imaginez vous, apprenant la bonne nouvelle, c’en serait presque un Évangile. Reprenons l'exemple de l'entreprise en crise ci-dessus. Avant de se pointer au tribunal de commerce, le chef d'entreprise reçoit la lettre suivante du Trésor public (ou de l'URSSAF)
« Monsieur/Madame,
Étant donné la situation difficile que vous traversez actuellement… blablabla…nous vous accordons une réduction de votre base imposable de 20%, correspondant à votre perte de 20% … blablabla… eu égard aux conditions difficiles que traverse votre secteur… ». 
Vous imaginez le Trésor vous notifiant une baisse d’impôt en temps de crise ?

Dans le même temps que l’État russe réduisait les impôts du géant gazier, il dévaluait la monnaie nationale, le rouble.
Alors ça non plus, on n’aime pas, dans une économie ultra-libérale. La dévaluation, c’est une arme économique obsolète, ça date des années quatre vingt, bref, « d’avant l’ère Internet » pour beaucoup. C’est une arme de vieilles lunes économistes, qui n’ont pas compris que les temps avaient changé.
Sauf que la dévaluation du rouble a fait que les prix du gaz russe restaient attractifs pour les Européens. C’est ainsi que Gazprom a pu octroyer une ristourne de 25% sur le prix du gaz en Europe. Ça vaut le coup pour les acheteurs quand même, et ça, les politiques européens se sont bien gardés de le claironner auprès des opinions publiques.
Un pitit graphique qui vous montre la corrélation entre dévaluation du rouble et baisse du cours du brent :

 

Pour toutes ces raisons, c’est haro sur la Russie. Ils manipulent leur monnaie (entre nous, la Chine en fait autant, sinon, comment expliquer que les exportations chinoises soient si peu onéreuses), ils soutiennent leur champion gazier… que de l’anti-conventionnel. Ils affichent un nationalisme économique qui va de pair avec leur politique extérieure.
Bien sûr, dans un article plus général, il faudrait parler des conséquences de la réduction d’impôts de Gazprom et de la dévaluation du rouble : ce sont autant de ressources en moins pour le budget de l’État, donc moins de politique sociale, moins d’infrastructures, moins d’écoles, d’hôpitaux etc.

Le problème de l’Ukraine (et de la Slovaquie d’ailleurs)
Vu sous le strict angle gazier, l’Ukraine, c’est simple. Le pays compte appliquer des tarifs de transit très élevés, tout comme la Slovaquie, et c’est pour éviter ces tarifs de hold-up que les Russes, de concert avec les Allemands, ont décidé de dévier un de leurs gazoducs, le Nord Stream, vers l’Allemagne du Nord, plate-forme qui serait chargée de dispatcher le gaz vers le Nord et vers le Sud de l’Europe, évitant ainsi les pays aux dents longues, qui auraient eu les moyens de faire « chanter » l’UE.
Voici ce qui arrivera en Allemagne:


Ainsi, qui aura un rôle central dans le dispatching gazier ? Et qui a déjà un rôle de locomotive économique en Europe et verra ce rôle renforcé ainsi ? l’Allemagne.

Voici exposés, aussi simplement que possible, les enjeux autour du gaz russe, sujet qui va bien plus loin que les propos et les écrits manichéens qui traversent la sphère d’information à la manière de météores, vite chassés par d’autres buzz. Je profite de toutes les histoires qu'on fait autour de la Russie pour ajouter ma petite pierre. Ça y est, c'est fait!










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