Thierry de Montbrial, "Une goutte d'eau et l'océan, journal d'une quête de sens"
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Le 10
mars 2015, j'ai assisté à une conférence-dédicace au siège de l'IFRI (Institut
français des relations internationales, rue de la Procession, Paris XVè, faite
par Thierry de Montbrial, fondateur de l'IFRI, concernant son livre "Une
goutte d'eau et l'océan", "Journal d'une quête de sens". Il
s'agit d'un journal de bord dans lequel l'auteur, diplomate, diplômé de
l'X-Mines, partage ses rencontres avec des sommités françaises et
internationales des décennies passées, et surtout, s'interroge sur les
"dérives" présentes observées dans notre société. Voici ce que j'en
ai compris, réflexions, résumé et extrapolations comprises: j'espère que cela
vous intéressera! Réflexions libres tirées de la conférence...
Il
s'agit d'un journal de bord dans lequel l'auteur, diplomate, membre de l'Académie des Sciences morales et politiques, diplômé de
l'X-Mines, partage ses rencontres avec des sommités françaises et
internationales des décennies passées, et surtout, s'interroge sur les
"dérives" présentes observées dans notre société. Voici ce que j'en
ai tiré: j'espère que cela
vous intéressera! Réflexions libres tirées de la conférence...
Quelques
semaines après les attentats de Charlie Hebdo, après toute cette fièvre
médiatique, il m'a paru utile d'écouter ce qu'avait à dire sur ce sujet
quelqu'un qui observe de l'intérieur les tendances profondes de notre société,
distancié par son poste de "think-tanker" qui l'oblige à la rigueur et l'objectivité.
Thierry
de Montbrial a beaucoup voyagé, a été en poste à l'étranger, en Roumanie
notamment. Il est de culture catholique.
Sa
conférence avait une dimension culturelle et spirituelle. Pourquoi? Parce que,
selon lui, les difficultés que nous traversons actuellement (nous= société
française dans son ensemble) ne sont pas à rechercher seulement dans les faits
matériels, mais aussi dans le fait religieux.
jeuneafrique.com |
L'auteur a ouvert le débat en remarquant que beaucoup de gens étaient "perdus". En effet, beaucoup pensent que ce qu'on fait ne change
rien.
Pour Th.
de Montbrial, raisonner ainsi, c'est normal, cela fait partie de la condition
humaine de mettre en doute ce qu'on fait, de mettre en doute la finalité de nos
actions.
Cependant
il compare nos actions à une goutte d'eau qui vient s'unir à l'océan(voir sur la couverture du livre la belle phrase de Mère Térésa). Sans les
multiples gouttes d'eau qui le composent, l'océan n'existerait pas. Sans
certaines gouttes d'eau, l'océan serait différent, aurait une composition, une
salinité, un comportement différent.
En fait,
chaque personne a une mission. Parfois, on peut mettre une vie entière à trouver sa voie ou sa mission. Oui, je sais, écrit comme ça, ça fait drôlement
pontifiant. Pontifions donc un peu, pour voir.
Ouahou,
chaque personne a une mission. Certes. C'est ainsi que les gens qui partent
faire le jihad ont aussi le sentiment de trouver leur mission. Leur utilité. Le
but de leur vie.
Nous
voilà abordant le problème du jihad. Des gens qui partent pour faire le jihad. Ici ou à l'étranger.
La société française et ses racines
Qui
partent pour retrouver des racines.
Quid?
Eh bien oui, l'être humain est comme
un arbre. Vous connaissez des arbres sans racines, vous? Pas moi! La mission de
chaque être humain s'ancre dans ses racines.
Et pour
les Français, quelles sont ces racines? Les voici (liste non exhaustive):
-les
racines gréco-romaines: les arènes de Nîmes, d'Arles, la via Domitia que l'on
prend lorsqu'on va de la Côte Atlantique à la Méditerranée...le latin, le grec,
ces langues sans lesquelles le français n'existerait pas... Ronsard, poète du
XVIè, écrivait: "Mignonne, allons voir si la rose...". Eh bien l'origine
du mot "rose" c'est le mot latin "rosa". Ça paraît tout bête,
mais c'est comme ça. Le nom de la reine des fleurs de nos jardins vient d'un
nom latin! C'est comme ça! C'est une racine! le bouquet de roses que vous offrez à votre maman pour la fête des Mères, la rose que vous tendez à l'élue de votre coeur, c'est une racine gréco-romaine! Il faut le faire, quand même!
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-et les
racines judéo-chrétiennes: c'est à dire Notre-Dame de Paris, toutes les églises qui parsèment le territoire national, les
Juifs, le concept de Dieu unique même si on n'y croit pas, tous les monastères,
toute la morale de nos sociétés, tu ne tueras point, tu ne convoiteras pas la
femme de ton voisin etc, etc, le buisson ardent, Moïse et les Hébreux qui
traversent la Mer Rouge, personne n'a traversé l'Océan Indien avant le tsunami
de 2004, la Shoah, le protestantisme, le catholicisme, Luther, l'imprimerie,
personne n'a imprimé ma biographie, la Bible, l'Ancien et le Nouveau Testament,
la Rédemption de l'Homme, etcétéra, etcétéra et je t'en passe et des meilleurs!
Fais ta liste! Va faire tes courses de racines! Ça t'apprendra, lecteur qui
rigole! Oui mon pote, tu baignes dans un océan de racines! Il n'y a pas que des
gouttes d'eau dans cet océan, y a aussi des racines! (Peut être qu'un personnage
comique, Gaston Lagaffe ou Le Chat répliqueraient: c'est plus un océan, ton
truc, c'est une soupe! Je les invite à se manifester...)
Oui
d'accord, allez-vous me dire, mais on était dans un débat sur l'actualité, vous
vous attendiez à des réponses sur: mais flûte à la fin, qu'est-ce qui s'est
réellement passé le 7 janvier? Et nous voilà revenus à la source de nos
civilisations! Ça craint! C'est quoi, ce travail?
Religieux: que signifie ce mot?
Déjà, si
vous vous posez ces questions, c'est bon signe.
Bon,
revenons à nos moutons: les racines
Nous
avons vu que chaque personne a une mission ainsi que des racines culturelles,
linguistiques, religieuses...
Ah! Je
vous vois tiquer sur le terme "religieux". Je m'y arrête. Stop.
No panic.
Religieux, c'est quoi?
En effet, le mot "religion" prête à confusion. Pourquoi?
1) ce
terme fait référence à la vie spirituelle des gens, leurs croyances, leurs
interdits... ce qu'on croit intimement, les convictions, etc.
2) ce
terme renvoie aussi aux institutions religieuses, comme le
Vatican, le patriarche dans l'Église orthodoxe... qui ont de facto (racine gréco-romaine) un rôle politique.
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Et c'est
là où s'articule notre concept franco-français de laïcité: c'est au coeur de ce
dilemme: religieux "privé"; religieux "public-politique".
La loi de 1905 Neutralité de l'État dans les questions religieuses...
Quand la
loi de 1905 a été votée (en quelle année? C'était le test pour voir si vous
suiviez), l'État avait à coeur de limiter l'influence de l'Église, en tant
qu'institution, sur la société, mais certainement pas de créer un pays d'athées!
Laïcité, ce terme est un peu relou. Parlons donc de séparation de l'Église
et de l'État. Chacun chez soi et les oies seront bien gardées. C'est plus clair
ainsi. On laisse tomber laïcité, et c'est gonflant à taper sur le clavier
d'ailleurs, pour utiliser "séparation de l''Église et de l'État"(c'est nettement plus long, je vous l'accorde, mais l'idée est claire).
Dans
l'histoire de France (retour à nos racines), les souverains (jusqu'en 1793, et après aussi) ont
eu à coeur de limiter l'influence de l'Église (en tant qu'institution politique
internationale, dont le siège se trouvait à Rome, donc à l'étranger). Cette influence irritait au plus haut point Philippe le Bel (XIIIè siècle), Louis XI (XVème siècle), Louis XIV
(XVIIème siècle) jusqu'à Napoléon 1er (le Concordat), car l'Église s'immisçait dans la politique intérieure des souverains et prétendait avoir un droit de regard sur tout. Certains souverains ont même
essayé d'imposer le siège du Vatican à Avignon! Les petits filous! Pour avoir
le Pape sous leur botte. C'était bien essayé mais ça n'a pas duré longtemps.
Donc la République, troisième du nom en 1905, s'est située en droite ligne de
toutes ces monarchies qui luttaient pour l'indépendance du pays par rapport à l'Église, et a dit: stop là, je réduis l'aspect politique des
institutions religieuses en vigueur dans mon pays.
Or, cette
décision n'a rien à voir avec le concept religieux que nous avons vu plus haut,
à savoir: le religieux intime, la conviction, la foi individuelle.
Dans la
France de la IIIème République, les athées étaient minoritaires
(athéisme=négation absolue de toute transcendance, pas de survie de l'âme après
la mort, on est là pour rien etc, etc). L'État envisageait plus de contrôler
l'ascendant qu'avait l'Église sur la société, plutôt que de remettre en
question le monothéisme en lui-même. Ce n'était certes pas une remise en cause
des racines chrétiennes de la France, mais une limitation des pouvoirs d'une
institution bien temporelle celle-là avec siège social, fonds, budget,
affidés... l'Église catholique!
1905,
c'est loin me direz-vous. Certes. N'empêche que cette loi n'a jamais été
adaptée au contexte historique qui est le nôtre, celui de 2015, avec la
diversité culturelle, la mondialisation, l'essor des techniques de
l'information... 1905, c'est la neutralité de l'État par rapport aux questions religieuses, érigée en dogme.
histoire-image.org |
... mais 1905, ce n'est pas l'abolition de nos racines
Donc, il
ne faut pas confondre la loi de 1905 avec une législation maudite qui voudrait
abolir les racines de tout un peuple! Nuance!
Malheureusement, l'histoire récente est riche de régimes qui se sont imposés en détruisant
les racines des peuples qu'ils prétendaient asservir:
-tiens,
on va commencer par l'Angleterre, pour éviter la référence automatique au
communisme et au nazisme: l'Angleterre de Cromwell, XVIIè siècle, a pillé et
détruit tant d'églises et d'évêchés... ils avaient déjà commencé sous Henri
VIII, vous savez, le roi qui faisait décapiter ses épouses quand il s'en
lassait, et qui a décidé de supplanter le pape à la tête de l'Église
d'Angleterre, créant ainsi "l'anglicanisme" et ça, c'était au XVIème...
ils étaient en avance sur notre temps, ces gens-là...
-et un coup pour les Français: les biens du Clergé déclarés Biens Nationaux sous
la Révolution, combien d'églises, de terres, de monastères vendus ou détruits?
Des oeuvres d'art perdues à tout jamais? Qui faisaient partie de la mémoire
collective? À dégager!
-et les
références obligatoires en matière de bulldozers culturels et sociaux: j'ai
nommé:
1) la
révolution bolchévique en Russie de 1917 à y a pas si longtemps...
2) le
nazisme qui faisait de grands autodafés (bûchers) de livres allant à l'encontre
de la morale de ce régime, qui pillait, détruisait sur son passage, populations
entières, bâtiments, idem des mémoires collectives des peuples asservis...
3) la
révolution culturelle en Chine, 1966, détruisant le patrimoine historique,
architectural, livresque d'un immense pays rempli d'art et de spiritualité...
Notre loi
de 1905 n'a rien à voir avec tout ça! Elle est la marque d'un gouvernement qui
voulait être indépendant par rapport à une autorité religieuse disposant d'une influence remarquable sur la population du pays. Elle mérite probablement une bonne modernisation, mais elle n'a pas contribué à nous éloigner de nos racines ni à plonger notre société dans l'absence actuelle de repères. Il y a quelques pistes de modernisation sur:
-le financement des lieux de culte
-l'obligation de prêcher en français...
entre autres.
Selon Thierry de Montbrial, le malaise de la société française vient de...
Thierry de Montbrial voit deux origines socio-économiques à l'état actuel du pays:
-la mondialisation sauvage qui permet l'interpénétration non contrôlée des populations;
pirmax.fr |
-les technologies
de l'information, très déstabilisantes: tout se fait sur le registre de
l'émotion et de la vitesse. Les TI
excitent les réactions instantanées, la raison ne peut plus s'exercer, car,
pour raisonner il faut... il faut? (j'attends les réponses, là,
magnez-vous, je ne vais pas attendre cent sept ans)
Il faut
quoi pour réfléchir?
du TEMPS
et du SILENCE!
Or, ces
deux éléments fondamentaux n'existent plus dans la vie de beaucoup d'entre nous, du fait de notre rythme de travail (transports etc.), de nos lieux d'habitation (souvent exigus et habitations de masse), mais aussi du fait des technologies de l'information, avec lesquelles il faut réagir immédiatement et fort si on
veut EXISTER dans le virtuel! Alors?
Là, j'extrapole la conférence:
C'est ce
qu'ils ont fait le 7 janvier à Paris! Ils ont agi vite et fort! Pour frapper l'opinion!
Pour faire douter ceux qui doutaient déjà! Pour ajouter encore plus
d'indécision et d'incertitude dans une société paumée en quête de repères! Mais
ceux qui ont commis ces actes, eux:
-ils ne doutent de rien, ils ont raison;
-ils ont des
croyances bien établies;
-ils ont des
racines (Islam, Coran, imams, repères sociologiques dans l'Umma ou communauté
des croyants musulmans);
-ils ont un dogme
et des lois qui leur donnent raison, ce qui revient un peu au point précédent, excusez-moi;
-un
avenir idyllique: ils sont morts en héros et seront accueillis au Paradis.
Ils prennent le temps d'aller à la mosquée, d'écouter les prêches de l'imam, de se laisser envoûter, de réfléchir, d'étudier leur livre sacré, de communiquer avec d'autres croyants...
D'où la
question: pourquoi pas nous? Pourquoi n'aurions-nous pas, nous aussi, cette force de conviction?
Or, de notre côté:
-nous doutons
-nous n'avons plus de croyances bien établies
-nous nous éloignons de nos racines ou nous les galvaudons,
-nous ne croyons plus en un avenir idyllique (pour ça, je ne peux pas nous donner tort: toutes les idéologies que nous avons suivies pour créer un meilleur avenir mondial ont tourné au cauchemar, sans exception: inquisition, colonisation, voir "le fardeau de l'homme blanc" de Rudyard Kipling, le communisme, le fascisme, la conquête du Nouveau Monde, de l'Australie...)
C'était un article fondé sur une prise de notes lors d'une soirée conviviale à l'IFRI. Qu'on se le dise.
mebahiah42.com |
Superbe analyse
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